In memoriam

René Henny – le patron, le médecin-psychanalyste, l’ami

DOI: https://doi.org/10.4414/sanp.2020.03093
Publication Date: 31.03.2020
Swiss Arch Neurol Psychiatr Psychother. 2020;171:w03093

Bonard Olivier, Logoz Michel, Bianchi Ferrucio, Porret Jean-Michel

Un objet transitionnel vivant

Quatre témoignages rappellent comment René Henny a mis en œuvre ses talents et ce que ses collègues en ont fait. René Henny a été l’aire transitionnelle entre chacun de nous et l’enfant, la psychiatrie et la psychanalyse. Il était aussi un objet transitionnel vivant, c'est-à-dire un autre tout proche dont on a usé de la présence, qu’on ait ressenti l’homme alternativement comme patron faisant autorité, décideur capable de trancher, parfois rudement, élagueur de nos élans, tendre et préoccupé pour ses subordonnés ou fidèlement amical. René Henny s’est prêté à son époque qui en Suisse romande a déployé la psychothérapie de l’enfant d’une manière aussi sérieuse qu’ambitieuse ; il a accepté les charges que l’Etat lui proposait tout autant que les images qu’on se faisait de lui. Et tout cela en contribuant à la diffusion et à l’enrichissement de la pratique psychanalytique.

Quatre hommes ici égrènent quelques souvenirs ou élaborent des réflexions qu’ils n’avaient pas formalisés, mais que la nouvelle que désormais René Henny ne sera plus que dans leur âme oblige à mettre en mots. Nous avons aussi beaucoup reçu de la part de celles et ceux qui s’étaient construits avec notre patron à tous, et nombreuses furent les femmes dans ce groupe (il faut le dire puisque cet hommage n’est le fait par ma faute que d’hommes!). Tous ont ajouté des chemins de traverse à la route qu’il frayait pour ses patients et nous, pour l’Institution adonnée aux soins psychiques et pour celle de la psychanalyse, en théorie et en pratique. Tout cela reste solidement établi et ne disparaîtra pas dans les dédales administratifs ou les tempêtes antipsychanalytiques.

Olivier Bonard

«Les Gasderoz», une équipe de Comédiens routiers

Demeurée cloîtrée dans ses frontières durant toute la Seconde Guerre Mondiale, la Suisse romande s’ouvre, dès la Libération, à la culture française (théâtre, conférences, variétés, etc.) dont elle a été si longtemps frustrée. S’inspirant de Léon Chancerel, pionnier du théâtre pour la jeunesse et initiateur des Comédiens routiers, issus des Scouts aînés, Claude Pahud réunit autour de lui quelques anciens de la Brigade de Sauvabelin et donne naissance à une petite troupe de théâtre baptisée «Les Gasderoz» (fig.1 et 2). Parmi les recrutés, René Henny - qui est et restera l’un des amis les plus proches de Claude Pahud - mais aussi Jean Dumur, Jean Bruno qui fera une carrière de professionnel, moi-même et quelques autres. Le théâtre est ici conçu comme une activité collective, un apprentissage commun du corps et de la parole. Durant quelque cinq ans, à coups de répétitions sous la férule de Claude Pahud, la troupe montera un spectacle composé de jeux scéniques dans une première partie et d’une fantaisie de La Fontaine «La Coupe enchantée» dans la seconde. Après de nombreuses représentations dans des bourgades vaudoises, des institutions telles que Bochuz ou Cery, quelques échappées en France, le bouquet final culminera à la Maison du Peuple, à Lausanne, alors haut lieu du théâtre d’avant-garde.

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Figure 1
«Les Gasderoz». René Henny est debout, le cinquième depuis la gauche, avec l’écharpe à carreaux
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Figure 2
René Henny

Michel Logoz

Souvenir de René Henny

J’ai connu René Henny en 1979, quand je suis arrivé à Lausanne après un parcours du Tessin à la Suisse alémanique. Il a été mon patron quand j’ai été engagé à l’Office médico-pédagogique vaudois (OMPV) de Lausanne, avenue Mon Repos. J’avais attendu deux ans pour pouvoir parfaire ma formation en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent chez Henny. Je savais que j’aurais appris du même coup la psychanalyse et en effet c’est bien ce qui s’est passé. La psychiatrie d’enfant et d’adolescent je l’ai apprise surtout par la suite, à travers l’expérience clinique, mais je savais désormais comment écouter un enfant, les parents, l’adolescent. Avec René Henny il s’agissait de cela: apprendre à connaître le langage du petit patient, évaluer ce que l’on ressentait et laisser venir les pensées relatives ; de temps à autre il fallait savoir dire quelque chose à l’enfant, qui de toute façon ne voulait en principe rien s’entendre dire. Il fallait aussi savoir aménager la relation avec les parents, pour qu’ils n’interrompent pas la thérapie avant que le processus thérapeutique n’arrive à sa fin naturelle.

René Henny a été un patron exigeant et sévère pendant les réunions d’équipe, où la ponctualité et la précision étaient des valeurs absolues. Il pouvait inspirer de la crainte. Je me souviens, par contre, des plaisantes sorties à ski du Service, où René Henny se donnait le plaisir d’être le meilleur skieur, le plus rapide si possible, le plus amusant en tout cas. Je me souviens que, lors d’une de ces sorties qui avait eu lieu au mois avril, je m’étais brûlé les yeux par manque de protection solaire: il avait voulu aller acheter un collyre et m’instiller lui-même les gouttes en me saisissant comme un petit enfant dans ses bras, sous le regard de mes collègues: c’était un geste affectueux, mais évidemment assez embarrassant!

Dans les entretiens personnels René Henny était toujours d’une étonnante et bienveillante écoute de la personne que j’étais et pas seulement du médecin assistant qui lui portait un cas difficile. Il s’impatientait au début face à mon français encore titubant, mais au fond il ne connaissait, lui, m’avait-il avoué par la suite, pas d’autre langue que le français… Pourtant il était souvent invité en Italie et, après mon retour au Tessin, nous l’invitions régulièrement à Lugano. Il se trouvait très bien dans le Séminaire psychanalytique et – j’ai du plaisir à le rappeler – il n’a jamais voulu accepter d’honoraire. Notre groupe l’appréciait beaucoup par la cohérence et la clarté dans ses conférences et, dans les supervisions en groupe, par son ouverture et l’accent qu’il mettait sur la qualité du développement du processus psychanalytique plutôt que sur les conditions formelles de la cure type (nombre de séance, etc.).

À l’OMPV il m’avait rapidement donné la responsabilité de la liaison avec la pédiatrie, ce qui fait que j’avais un bureau aussi au CHUV. J’ai ainsi pu faire l’expérience des troubles hystériques de l’enfant et des troubles psychosomatiques, de l’anorexie mentale et des maladies chroniques et aussi terminales. Dans le service ambulatoire ces situations-là je ne les aurais pas connues, pourtant c’était l’époque des progrès de la psychosomatique, l’époque où René Henny faisait venir non seulement René Diatkine et Serge Lebovici dans son service, mais aussi Léon Kreisler.

Dans les bureaux de Mon Repos, par contre, il était question de psychothérapie, de transfert, d’interprétation. Dans les contrôles, René Henny ne ménageait pas ses mots, si j’intervenais avec un enfant de manière «naïve», il n’hésitait pas à me dire que c’était une «bêtise» ; en somme, pourvu que j’apprenne quelque chose, il ne ménageait pas les coups. Il fallait que je comprenne rapidement que je me défendais par rapport à l’excitation libidinale et agressive que le jeune patient savait mobiliser en moi!

J’ai quitté le OMPV à fin septembre 1983 en même temps que René Henny: il prenait sa retraite anticipée pour se dédier à la psychanalyse à plein temps. C’est dans le contexte de la Société de psychanalyse que je le rencontrerai ensuite, entre collègues, soi-disant, mais bien qu’il m’y ait autorisé, je n’ai jamais pu le tutoyer, même pas dans les rencontres que j’avais eu la chance de faire avec lui dans un restaurant ou dans sa maison de Grandvaux.

Ferrucio Bianchi

Hommage rendu à René Henny

René Henny, psychanalyste, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et chef de service, dirigea durant de nombreuses années le Service médico-pédagogique vaudois (actuellement Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent). Il avait organisé cette institution de la meilleure manière, notamment les consultations ambulatoires qui pouvaient accueillir à la fois des enfants de tous âges et des adolescents. En outre, il avait pris soin de faire régner dans cette même institution un certain esprit. Ainsi, il était parvenu à ce qu’elle ait une réputation internationale. J’ai rencontré René Henny pour la première fois en 1978 quand je fus l’un de ses médecins-assistants. Il ne ménageait pas ses efforts pour encourager les jeunes médecins à s’orienter vers la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. J’ai vite compris que sa personnalité et ses idées correspondaient à ce que j’attendais d’un maître qui puisse me guider dans ma formation et ce fut à son contact et, sans conteste, grâce à lui que je me suis destiné à la psychiatrie d’enfants et d’adolescents. Ses connaissances étaient vastes, il avait du plaisir à les transmettre et ses qualités d’enseignant étaient très remarquables. René Henny était un modèle d’identification pour ses jeunes collaborateurs et, en plus, transparaissait son désir que ceux-ci s’identifient à lui. Ces deux particularités me semblent rétrospectivement d’autant plus précieuses qu’elles se sont, à mes yeux du moins, perdues actuellement et depuis longtemps. René Henny se montra toujours ouvert aux différents courants de pensée et aux différentes disciplines. Mais, son domaine de prédilection était indéniablement la psychanalyse freudienne et sa préoccupation majeure la transmission de la psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent. Manifestement, son identité de psychanalyste passait largement avant celle de psychiatre. Elle ne faisait aucun doute, elle était profondément ancrée en lui. Cet aspect de sa personnalité a beaucoup compté dans l’estime que j’ai porté à René Henny et que je continuerai à lui porter. Pour terminer je mentionne deux de ses écrits sans les commenter. Le premier est psychanalytique, c’est sa thèse de médecine publiée en 1966: Similitudes et différences entre psychanalyse d’enfant et d’adulte dans la relation thérapeutique (in: Archives Suisses de Neurologie, Neurochirurgie et Psychiatrie, 1966, Volume 97, fascicule 2, pp. 387-412). Le deuxième est psychiatrique et date de 1976: Lettre ouverte à un candidat à la formation en psychiatrie d’enfants et d’adolescents (in: Archives Suisses de Neurologie, Neurochirurgie et Psychiatrie, 1976, Volume 119, fascicule 2, pp. 219-228).

Jean-Michel Porret

Correspondence

Olivier Bonard, Rue Caroline 7, 1003 Lausanne, obonard[at]gmail.com

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