Editorial

En temps de «situations limites»

Ne pas seulement survivre, mais exister

DOI: https://doi.org/10.4414/sanp.2020.03100
Publication Date: 31.03.2020
Swiss Arch Neurol Psychiatr Psychother. 2020;171:w03100

Bonsack Charles

Faut-il lire les SANP durant la crise du coronavirus ? Il y a tant d’autres urgences, d’autres préoccupations. Pour ceux qui s’y plongeront quand même, vous serez surpris combien ces articles sont actuels ou combien notre regard sur eux les rend actuels.

L’article d’Anton Hügli, commenté par Paul Hoff, part d’une phrase de Karl Jaspers: «Vivre des situations limites et exister sont la même chose». Les «situations limites», telles que la mort, le hasard, la souffrance et la culpabilité sont l’essence de la vie. Elles nous sortent de notre «situation de base», nous permettent de penser notre vie, d’exister alors que nous ne faisions que vivre. Ainsi, au sortir de la deuxième guerre mondiale, Karl Jaspers demande notamment comment exister avec la culpabilité de survivre à ceux qu’on a conduit à la mort.

La souffrance, le bouleversement de l’existence, Virginie Oberholzer nous la raconte à la première personne. Malade, elle passe brusquement du statut enviable d’universitaire reconnue à l’expérience vécue de rentier AI. Avec un véritable talent d’écrivain, elle nous raconte de l’intérieur la violence administrative anonyme, la double punition de devoir justifier constamment son incapacité. A contrario, exister comme être humain aux yeux des autres est son chemin pour survivre à l’adversité.

«L’open dialogue», décrit dans l’entretien de Martin Meyer par Karl Studer, ressemble étrangement à l’idéal de la relation thérapeutique raconté par Virginie Oberholzer à la fin de son récit à la première personne: j’ai rencontré un thérapeute «qui a su me recevoir comme être humain avec ses ressources». Dans l’open dialogue en effet, la «réalité se construit dans le dialogue, de plusieurs perspectives, de manière polyphonique, en tolérant l’ambiguïté et en s’appuyant sur les ressources».

Une autre manière de survivre à l’adversité est la figure du psychopathe décrite dans l’article de Clara Fuhrer et al. à partir du film «Sexy Beast». Le psychopathe fascine, séduit, manipule, intimide: il attise nos instincts égoïstes de survivre au mépris de l’autre. Vivre mieux, gagner plus, avoir plus de réserves que les autres à leur dépend, tuer pour vivre: sommes-nous vraiment à l’abri de nos instincts antisociaux ?

Comme les psychopathes, les plagiaires dénient l’existence de l’autre: ils utilisent la parole de l’autre sans la reconnaître. Mais quelle est la différence entre l’amplification nécessaire par la répétition d’une même parole et le plagiat ? Cette répétition n’est-elle pas inhérente à la pratique moderne de la science ? Qu’est-ce que la citation correcte d’une idée qui a été reprise, transformée, à la mode, puis oubliée ? Qu’est-ce qui est le plus important: respecter la chaîne d’auteurs qui ont repris une idée ou en tracer l’origine et la véracité ? Ces questions sont essentielles dans un monde où répéter une idée fausse suffit à la rendre vraie. Daniele Zullino et Julius Kurmann ouvrent ce débat dans leur article «Habe ich das nicht schone irgendwo einmal gelesen ?».

Enfin, de quoi se rappellera-t-on de nous lorsque nous serons morts ? René Henny n’a pas seulement vécu, il a existé comme homme, patron et ami aux yeux des collaborateurs qui lui rendent hommage. En lisant ces articles, j’espère que nous aurons quelques clés pour nous aussi exister et pas seulement survivre à la crise que nous vivons aujourd’hui.

Verpassen Sie keinen Artikel!

close