In memoriam

Hommage à la Doctoresse Dora Knauer

DOI: https://doi.org/10.4414/sanp.2020.03106
Publication Date: 30.05.2020
Swiss Arch Neurol Psychiatr Psychother. 2020;171:w03106

Ansermet François, Chiappero Paolo, Cramer Bertrand, Gentili Carlotta, Impagliazzo Sandra, Martelli Marilisa, Rigon Giancarlo, Sciorato Rita, von Salis Thomas

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Figure 1
Dora Knauer.

La mort est irreprésentable: ce constat freudien est particulièrement vrai pour Dora Knauer, enlevée par le COVID-19 alors qu’elle était en pleine activité, intensément engagée auprès de ses patients. Le dernier message que j’ai reçu d’elle par SMS «tu me fais penser, à chacun son COVID-19 …» me reste comme un signe d’elle par-delà sa disparition.

Dora était si vive, si vivante, comment réaliser qu’elle n’est plus? Dora Knauer, c’était la vie de la clinique, par sa créativité en éveil, toujours prête à se renouveler; c’était la vie dans l’institution, par les liens qu’elle a toujours su tisser avec chacun, avec ce que l’on appelle le terrain, au plus proche de ceux qui y œuvrent, appréciée par tous; c’était la vie dans l’enseignement, pour transmettre aux nouvelles générations d’étudiants en médecine, ou de jeunes collègues en formation pédopsychiatrique, psychothérapeutique et psychanalytique ; c’était la vie dans l’activité associative et dans les comités des revues, auxquelles elle était associée au niveau national et international.

Elle a été pour moi un appui très important, comme adjointe de ma position de chef du Service de psychiatrie d’enfants et d’adolescents aux Hôpitaux Universitaires de Genève, et aussi en tant que chargée de cours, après avoir été privat-docent, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Je lui dois tant, par son engagement sans faille mais aussi par son appui, par sa disponibilité, par ses conseils si précieux.

Dora Knauer a développé, d’abord en collaboration avec le prof Bertrand Cramer, puis avec le prof Francisco Palacio Espasa, des structures de soins pour les tout jeunes enfants, ainsi que les principes fondateurs des interventions thérapeutiques parents-bébés et des thérapies centrées sur la parentalité. Responsable de l’Unité d’hospitalisation de jour, elle a consacré aussi sa recherche au suivi longitudinal à long terme des enfants qui ont été suivis dans ce cadre. Elle a aussi œuvré à des développements institutionnels et thérapeutiques originaux dès la période périnatale, à travers une organisation transverse avec les structures de liaison que nous avons pu mettre en place parallèlement avec la maternité, la médecine périnatale et la pédiatrie du développement.

Son rôle dans l’enseignement aux étudiants en médecine a été prépondérant, en particulier dans les modules sur les âges de la vie dans le cadre des cours Personne-Santé-Société en première année, ainsi que dans bien d’autres cours pré-gradués, post-gradués et de formation continue. Je me souviens en particulier d’un cours que nous avons donnés ensemble sur la psychanalyse appliquée à la clinique pédopsychiatrique, destiné à examiner les choix d’interventions possibles: un plaisir chaque fois renouvelé de découvrir la créativité clinique de Dora Knauer, attentive au cas par cas, au-delà de tout a priori.

Dora Knauer a aussi participé de façon très soutenue à la Société suisse de psychiatrie et psychothérapie d’enfants et d’adolescents, particulièrement appréciée de tous les collègues de Suisse, elle a activement participé à soutenir et à défendre notre spécialité médicale, aussi à travers sa personnalité au rayonnement. Dans ce cadre, elle a été très active au sein de la commission d’examens du FMH de pédopsychiatrie. Par ailleurs, elle a pris part à de nombreux comités éditoriaux de revues suisses et internationales, en étant de plus membre de l’Académie Suisse des Sciences Médicale. De plus, elle était aussi membre ordinaire de la Société Suisse de Psychanalyse, soutenant cette orientation qui donnait sa direction à sa pratique et à sa recherche. Son rayonnement était international, donnant des conférences et participant à des colloques dans toute l’Europe, en particulier en Italie où elle entretenait des liens très investis.

Dora Knauer était effectivement d’abord dans le lien. Avec les personnes avec qui elle travaillait. Mais aussi entre les générations, entre le passé et le présent, entre le présent et l’avenir. Toujours partante pour des explorations nouvelles, elle était prête à réinventer sa voie face à un monde qui change, à anticiper le nouveau. Née en Egypte, elle m’a souvent dit qu’elle savait évoluer entre les rives du Nil, à concilier l’ancien et le nouveau, à faire avec les oppositions, à lutter contre les clivage, à aller au-delà de ce qui semble insurmontable. J’avais si souvent besoin de lui demander comment dépasser ce qui faisait obstacle. Peut-être que maintenant qu’elle est sur l’autre rive, elle saura toujours veiller sur ceux qui sont toujours là, et qui tenaient tant à elle.

François Ansermet, Genève

Dora Knauer è stata docente, formatrice, nella nostra Scuola di Specializzazione di Psicoterapia Psicoanalitica. Ecco le immagini del nostro ricordo.

Una allieva presenta il caso, poi si apre la discussione, Dora ascoltava. Tanti piccoli movimenti repentini nei suoi occhi svelavano, insieme al suo lieve sorriso, il mare di connessioni a cui la sua mente lavorava appassionatamente.

Poi ad un tratto parlava, poche parole, chiare, chiarissime, impensate da noi, e la trama del caso e della discussione nel gruppo prendeva una nuova e significativa forma.

Un vero tocco da «artista», pieno di umanità, conoscenza ed esperienza. Ci ha insegnato molto e ci ha aiutato a giocare con rigore e serietà …

Paolo Chiappero, Rita Sciorato e tutta la Scuola di Psicoterapia Psicoanalitica de Il Ruolo Terapeutico di Genova

La Doctoresse Knauer est née en Égypte, en 1950, ou’ son père était dans le marché du coton. Elle a gardé de ce pays lointain une grande nostalgie des voyages. Elle est, depuis, devenue une infatigable itinérante au service de la psychiatrie. Elle était de tous les congrès et le meilleur moyen de rencontrer Dora, l’hyperactive, était de prendre le train. Elle enseignait beaucoup à l’étranger, surtout en Italie, car elle était parfaitement italophone.

Elle a fait la plus grande partie de sa belle carrière au centre de Psychiatrie de l’enfant de Genève (appelée autrefois: «La Guidance»). Elle y a commencé comme assistante dès la création du centre, est devenue très vite cheffe de clinique, puis privat-docent, et créa une unité «le jardin d’enfants thérapeutique» qui devint le bijou de la guidance et le modèle thérapeutique du traitement des très jeunes enfants avec des grosses pathologies du développement. Les enfants étaient suivis par une série de professionnels: tout d’abord, les éducatrices spécialisées, mais aussi les psychothérapeutes, les logopédistes ‒ indispensables dans beaucoup de pathologies des premiers âges - des assistantes sociales pour le suivi des parents. Le suivi de ces enfants, que Dora a publié dans de nombreux ouvrages («La destinée des bébés peut-elle changer?») est devenu une source première de connaissance sur les développements pathologiques. A part son livre sur la destinée, il n’existe que très peu d’études longitudinales des pathologies précoces. Ce centre est devenu un lieu d’enseignement pour toutes ces différentes professions et un modèle de centre de jour pour le plus jeune âge.

Dora était une thérapeute innée: elle influençait toute personne la rencontrant par sa vibrionnante vivacité et son optimisme à toute épreuve: elle transmettait ces qualités par son sourire et sa vivacité, de telle sorte qu’elle mobilisait les patients les plus réfractaires ainsi que ses collègues, même les plus inertes.

Cette activité thérapeutique était le fondement des nombreux articles qu’elle a produits et de ses livres dont on peut citer les deux plus importants: «La destinée des bébés peut- elle changer?» (Aux Presses Universitaires de France ‒ PUF) et «Manuel de psychothérapie centrée sur la parentalité», (coordonné par Nathalie Nanzer et publié aux PUF).

Elle était membre du comité de rédaction de plusieurs journaux professionnels: «Psychothérapies», «In analysis», «La psychiatrie de l’enfant» et, bien évidemment: les «Archives» (SANP).

Moi-même, et tous ceux qui ont travaillé avec Dora sont très affectés par sa disparition, mais restent à toujours reconnaissant pour ce qu’elle nous a apporté, autant au niveau intellectuel qu’au niveau affectif.

Bertrand Cramer, Genève

J’ai connu Dora Knauer dans les années ’90, quand le Professeur Loperfido ha coordonnée une recherche sur la relation précoce mère-enfants que, au coté du Docteur Marilisa Martelli, nous avons conduite.

Depuis lors elle nous a suivi comme superviseur et par sa compétence et son attention nous a donné confiance pendant la fondation et les premiers années d’un nouveau service à Bologna: il Centro Clinico per la Prima Infanzia. Mais ses séminaires aussi étaient un précieux rendez-vous pour tous les professionnels de la Neuropsichiatria dell’Infanzia e dell’Adolescenza di Bologna: pour la manière jamais dogmatique avec laquelle elle savait éclairer le fonctionnement d’un enfant et de sa relation avec les parents, la pensée et la confiance sur la manière d’aider, le regard sur les risques pour son développement. Même si la connaissance si profonde qu’elle avait de la psychanalyse et de la psychopathologie empruntaient son regard, elle soutenait que plusieurs techniques et différents professionnels étaient nécessaires pour la thérapie et pour assurer les fonctions vitales au développent et aux interactions harmoniques enfants-parents. Au cours du séminaire qui a eu lieu le 11.10.2019, organisé par la Fondazione Minguzzi avec l’AUSL à Bologne elle soulignait encore une fois que la recherche (en champ neurobiologique et génétique en plus que psychiatrique) nous révèle que les services qui puissent assurer à divers niveaux un bon soutien aux parents et les soins à leur interaction avec les enfants dans le premier âge sont fondamentaux pour la santé mentale et le devenir de ses membres les plus jeunes, ressources pour le futur. Le soir avant elle a voulu partager avec ses amis même le plaisir pour une des choses qu’elle aimait: «la belle vue sur les toits de Bologne». Nous ne pouvons pas oublier son attitude à transmettre à nous, les professionnels qui l’on rencontrée, son regard si large et si vif, son attention continuelle pour la vie, les gents, les parents et les enfants. Ses dons seront avec nous, à coté de la douleur et du regret pour ne plus la rencontrer.

Carlotta Gentili, Bologna

Dora Knauer era innanzitutto una persona con un grande senso di umanità, un clinico raffinato e curioso di comprendere la complessità di ogni persona.

Le diverse occasioni di incontro in questi molti anni, il confronto in ambiti seminariali, le supervisioni cliniche, ci hanno trasmesso la sua passione per il lavoro clinico e scientifico.

Grazie di cuore Dora per questa eredità che ci hai lasciato, per lo stimolo a crescere e a perfezionare i nostri metodi di lavoro.

Non ultimo, un grazie speciale per la tua amicizia.

Sandra Impagliazzo, Bologna

Il suo ultimo messaggio è stato «E’ dura …». Poi più niente.

E certo, lei che prima ancora che una grande psichiatra e psicoanalista di bambini e adulti era un medico eccellente, avrà capito che il nemico questa volta era piccolo ed invisibile ma troppo potente e veloce da combattere.

L’avevamo conosciuta a Bologna nel 1990, ci ha accompagnato tenendoci per mano fino ad inaugurare nel 2000, nell’ambito del Servizio di Neuropsichiatria infantile, il Centro Clinico per la prima Infanzia, uno spazio innovativo e coraggioso.

Poi non ci siamo più lasciati. Fino a ieri.

Le siamo grati per tutto quello che ci ha insegnato negli anni, lo ha fatto con generosità, intelligenza, umiltà e attenzione per gli altri.

Diventare amiche era stato un dono prezioso.

Mi piace ricordarla quando prima delle conferenze ci chiedeva notizie con quella curiosità e quella gioia di vivere speciali, e si concedeva un «piccolo caffè italiano» in Piazza Maggiore.

Marilisa Martelli, Bologna

Dora Knauer possedeva una rara intuizione clinica ed una acuta capacità di lettura delle persone e delle relazioni tra le persone.

La sua competenza e il suo approccio alla psicopatologia infantile, caratterizzato dalla centralità della dimensione evolutiva con le sue potenzialità e le sue fragilità, ce l’ha resa molto vicina.

Era una collega sempre disponibile a collaborare e a contribuire con il proprio sapere al lavoro degli altri. Ricordo ancora la sua pronta ed affettuosa risposta al mio invito a contribuire con un proprio capitolo («L’incontro con l’adolescente: dal corpo alla parola») ad un libro dedicato alla psichiatria dell’adolescente.

Di lei molti di noi ricordano la facilità e la simpatia con cui instaurava rapporti ed il piacere che aveva nell’acquistare qualcosa di personale durante i suoi soggiorni di lavoro nella nostra città e che ci mostrava con allegria.

L’ironia e la leggerezza erano il suo registro per leggere ed accettare le difficoltà.

A Dora Knauer saremo sempre grati perché ha fortemente contribuito alla qualificazione clinica e alla crescita del nostro Servizio di Neuropsichiatria Infantile di Bologna.

Giancarlo Rigon, Bologna

Chaque fois qu'il m'arrive quelque texte pour la revue «Archives» (SANP), je pense que j'aimerais demander à Dora de me donner son avis ... Il faudra s'habituer au fait qu'elle ne vit plus sur terre. C'est au cours de ces dernières trois décennies que j'ai pu profiter de la relation professionnelle et amicale bien singulière avec Dora Knauer qui impliquait toujours le lien avec les autres représentants de l'école genevoise de la pédopsychiatrie qui, eux aussi, s'expriment dans ces pages des Archives Suisses de Neurologie, Psychiatrie et Psychothérapie. Dora a été toujours prête à s'investir dans les travaux de ce comité de rédaction mixte, de langue française et suisse-allemande (fig. 2). Son jugement des problèmes, des relations professionnelles scientifiques, a toujours été hautement estimé. Ses textes, par exemple dans les critiques de livres, témoignaient de sa connaissance et de sa compréhension profonde.

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Figure 2
Dora Knauer en 2007, entre l'ancien rédacteur-en-chef des «Archives» (SANP), le Professeur Daniel Hell, et le Docteur Albert Erlanger, en séance au château de Brunegg, Argovie.

En me souvenant de la collaboration avec Dora dans des comités comme celui de la Société Suisse de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent, j'entends encore très vivement Juan Manzano (décédé l'année dernière) disant à sa manière autoritaire: «Dora, écris!», ce qui élicitait un sourire tolérant et bienveillant parmi les collègues. Elle s'est toujours rendue utile, elle se prêtait comme conférencière, brillante, par exemple au sein de la section suisse de l'AEPEA (Association Européenne de Psychopathologie de Enfant et de l'Adolescent). Ses travaux scientifiques nous sont restés comme un témoignage imposant de la recherche pédopsy genevoise.

En 2003, Dora et moi, en tant que délégués dans la section pédopsychiatrique de l'UEMS (union européenne des médecins spécialistes), avons assisté aux «États Généraux de la Psychiatrie Française" à Montpellier. En rentrant, Dora a fourni un compte-rendu dans le "Bulletin 3/2003 SGP/SGKJPP» de ce «congrès peu ordinaire» (je la cite): Elle poursuit que nous deux Suisses fûmes «sensibilisés, durant ces trois jours, avec les nombreux questionnements que se pose actuellement la psychiatrie française (…) Le patient et le souci de la bonne qualité des soins à son égard a été placé au centre des préoccupations de tous ces professionnels actifs et passionnés par leur profession, aux prises avec des sentiments de découragement, face aux restrictions annoncées et à l'évolution inéluctable vers des interventions toujours centrées sur l'urgence et toujours moins aptes aux gestes humains et psychothérapeutiques.»

On peut entendre dans ces lignes le souci et la sympathie de Dora pour les collègues souvent moins privilégies en comparaison avec nous suisses, et son engagement pour le développement de la discipline et des connaissances. C'est ainsi qu'elle a gagné la sympathie et la gratitude de beaucoup de collègues italiens, en y voyageant régulièrement et infatigablement pour donner des cours et des supervisions. Polyglotte, elle maîtrisait la langue italienne aussi bien comme l'arabe, le français et l'allemand, y inclus la version suisse-alémanique.

En privé, elle maintenait le contact avec sa famille en Suisse alémanique, elle s'occupait de ses animaux domestiques et montait régulièrement à cheval – elle en avait gardé un jusqu'aux dernières années de sa vie. Elle possédait un appartement au lac de Garde en Italie où elle recevait ses amis de partout dans le monde.

C'était une mauvaise surprise lorsque Dora dût répondre par la négative à la question si ma femme et moi pouvaient la visiter au cours d'un voyage en Italie: «C’est la Polyarthrite Rhumatoïde qui m’a touchée il y a 10 ans déjà mais qui est aujourd’hui sous contrôle (…).» Était-ce un signe de sa vulnérabilité qui la prédisposait à la pathologie du COVID-19?

On ne peut que répéter la plainte combien Dora nous manque.

Thomas von Salis, Brunegg

Credits

Header image: © Susazoom | Dreamstime.com

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