Editorial
Une cible concrète pour l’intervention précoce en santé mentale
Après des décennies où les traitements psychiatriques se limitaient souvent à gérer la chronicité des troubles, le développement, il y a 30 ans, des concepts d’intervention précoce, a constitué une révolution. Il s’agissait alors de limiter le délai entre l’apparition de la maladie et la mise en place de traitements efficaces et adaptés aux besoins spécifiques de cette phase. Rapidement on s’est rendu compte qu’il fallait aller encore plus loin et tenter de détecter les signes les plus précoces des troubles afin de développer des strataégies de prévention.


Philippe Conus
Les outils cliniques de détection restent cependant perfectibles et malgré les progrès de la recherche translationelle, l’absence d’une compréhension claire des mécanismes cérébraux causant les troubles psychiatriques nous prive de biomarqueurs fiables qui permettraient de détecter les sujets à risque de manière plus fiable. Ainsi, malgré l’identification de nombreux facteurs de risques liés aux divers troubles psychiatriques, la mise en place de stratégies préventives reste en grande partie hors d’atteinte.
Il s’agit dès lors d’élargir le focus et de s’intéresser aux facteurs de risque environnementaux: le changement climatique s’impose alors très clairement comme une cible majeure de prévention en santé mentale. En effet, rares sont maintenant ceux qui nient la réalité de la crise climatique (déni qui en soi pourrait être considéré comme une pathologie, tant les preuves du lien entre activité humaine et changement climatique sont solides), et nombreuses sont les données qui montrent son impact majeur sur la santé mentale que l’on peut regrouper selon trois catégories.
Premièrement, l’impact direct, survenant dans le contexte des catastrophes «naturelles» qui induisent 40 fois plus de troubles psychiques que de troubles somatiques, sous forme de PTSD, de dépression, de troubles anxieux durables et de suicides. Deuxièmement, l’impact graduel éprouvé par les populations dont le milieu se modifie lentement, du fait de sécheresses répétitives ou de la montée des eaux. Troisièmement, l’impact indirect éprouvé plus largement par la population mondiale et particulièrement par les jeunes. Une étude publiée en 2021 par Lancet auprès de 10 000 jeunes de 16 à 25 ans issus de 10 pays différents montre ainsi que 84% d’entre eux sont préoccupés par l’état de la planète, 59% se disent très inquiets, plus de 50% éprouvent de l’anxiété et de la tristesse et 39% hésitent à avoir mettre des enfants au monde.
Il faut aussi parler du phénomène d’éco-anxiété (angoisse éprouvée face à la menace climatique, qui comprend un sentiment d’intense préoccupation, de vigilance, d’impuissance, mais aussi de colère face à l’inaction des gouvernements) qui se répand parmi la jeunesse avec parfois des conséquences majeures sur leur capacité à étudier, à travailler et à vivre les étapes cruciales de cette phase de vie. On peut ajouter enfin les phénomènes migratoires et les conflits qui inévitablement surviendront en conséquence des famines et des changements sociétaux liés au changement climatique et dont l’impact sur la santé mentale sont une évidence.
Dans un tel contexte, il est urgent que les professionnels de la santé mentale se mobilisent pour alerter les décideurs sur les conséquences potentiellement majeures du changement climatique sur la santé psychique des populations. Prendre un rôle actif à l’égard de ce problème qui reste encore largement négligé est l’affaire de tous et constitue en soi une stratégie concrète de prévention primaire et donc d’intervention précoce en santé mentale.
Copyright
Published under the copyright license
“Attribution – Non-Commercial – NoDerivatives 4.0”.
No commercial reuse without permission.
See: emh.ch/en/emh/rights-and-licences/