access_time published 17.06.2019
La maladie d’Alzheimer dans le film La tête en l’air
Mario Georges
Martin Sonnet
Louise Penzenstadler
Gerard Calzada

Film analysis
La maladie d’Alzheimer dans le film La tête en l’air
17.06.2019
La Tête en l'air (Arrugas) est un long métrage d'animation espagnol réalisé par Ignacio Ferreras, sorti en Espagne en 2012, en France le 30 janvier 2013.
TRAME
Le film commence à l’appartement d’Emilio, notre personnage principal, ancien directeur d’une banque. Aujourd’hui, il est vieux et atteint des troubles cognitifs. Son fils et sa femme sont présents pour s’assurer qu’Emilio mange le repas du soir. S’impatientant et oubliant la présence de son père, le fils commence à se disputer avec sa femme à cause du vieil homme. Au même moment, Emilio qui ne supporte plus de voir le jeune couple se disputer, jette sa soupe au sol et exclame que maintenant ils sont libres de s’en aller…
Sans doute à cause de cet événement, le spectateur retrouve Emilio lors de son premier jour au sein de son nouveau lieu de résidence : une maison de retraite dans laquelle il partagera une petite chambre avec Miguel. À son arrivée, Emilio ne se sent pas bien dans ce nouvel établissement, mais son nouveau compagnon essaie de le mettre à l’aise grâce à son sens de l’humour (parfois déplacé) et une petite visite guidée des lieux. Le passe-temps préféré de Miguel est de soutirer de l’argent aux autres résidents en profitant de leur démence, ce qu’Emilio ne cautionne pas.
Les jours passent et Emilio devient de plus en plus familier avec le personnel soignant et les autres résidents au point de se sentir bien en ces lieux. C’est alors que, un soir, passant en dessous de l’escalier de la résidence, il entend hurler à l’étage. Apeuré, il va trouver Miguel qui lui conseille d’oublier ce qu’il a entendu à l’étage et de ne jamais mettre les pieds là-haut. Emilio, qui ne parvient pas à contenir sa curiosité, monte tout de même. En haut, il retrouve ‘’les cas perdus’’ de la résidence et ne comprend pas qu’un étage comme ceci puisse exister, un étage où l’on entrepose les gens en attendant…
Miguel lui explique que les résidents ne pouvant plus ‘’survivre’’ tout seuls et être autonomes sont placés à l’étage. Cette idée commence à hanter Emilio qui se jure de ne jamais se retrouver en haut. Mais plus les jours passent et plus la maladie d’Emilio prend le dessus, à tel point qu’il en vient à se battre avec Miguel, car il pensait que son colocataire lui volait ses affaires alors qu’en réalité il ne se souvenait plus où il les avait mises.
Miguel qui comprend la situation d’Emilio lui vient amicalement en aide. Arrive le jour où le médecin passe pour contrôler l’état de santé de chacun. Emilio et Miguel élaborent différentes ruses pour permettre à Emilio de passer comme un résident ‘’sain’’ et ne pas être déporté à l’étage tel que des « antisèches » (pour les trous de mémoire), de sonner l’alarme pour interrompre l’entretien, de bien s’habiller (preuve d’une bonne autonomie), etc. Ainsi les deux compères parviennent à éviter le pire.
Peu de temps après, Emilio ne supporte plus cette vie enfermée, et décide qu’il veut s’en aller de la maison de retraite. Il en fait part à Miguel qui le soutien dans ce projet, et les deux hommes s’enfuient avec une troisième résidente durant la nuit. Malheureusement, ils font un accident de route. Emilio souffrant des séquelles de l’accident doit monter à l’étage supérieur de la résidence. Miguel en est très affecté et son comportement malhonnête envers les autres résidents change. Il devient bien attentionné envers chacun. Très attaché à Emilio, il décide d’être un support pour lui et monte tous les jours à l’étage pour lui tenir compagnie. Le film termine en laissant les deux hommes dans un quotidien paisible, bien que rongés, petit à petit, par les fléaux de la vieillesse.
CE QU’IL FAUT SAVOIR
Le film paraît pour la première fois sur le grand écran en 2012. Réalisé par Ignacio Ferreras, le film est en réalité une adaptation d’une bande dessinée du même nom, en un dessin animé de style dramatique.
D’origine espagnole, il sort sous le titre original de ‘’Arrugas’’ signifiant ‘’rides’’. Il traite de la maladie d’Alzheimer, un sujet d’actualité, car de plus en plus de personnes en sont touchées. Cela n’est pas dû au fait que la maladie se soit propagée au tournant du siècle, mais plutôt que la proportion de vieilles personnes au sein de notre société a augmenté, sûrement en lien avec l’évolution de la médecine.
L’intérêt porté à cette maladie et la trame du film simple et touchante lui permettent d’être très bien accueilli par les critiques. En effet, il reçoit notamment une mention spéciale au festival international d’Annecy, le meilleur film au festival espagnol de Nantes, et finalement meilleur film animé et meilleur scénario adapté au Goyas de 2012.
Sur la toile, le film obtient une note globale de 93% sur Google, 3,7 sur 5 sur Allociné ou encore 96% sur Rottentomatos. Ces très bons résultats et les différentes récompenses montrent à quel point le film a su mettre en lumière une situation qui, finalement, touche plus de gens qu’il n’y paraît (47,5 millions de personnes en 2015).
Le coréalisateur et auteur de la bande dessinée dont est tiré le film explique qu’il écrit l’histoire en s’inspirant du père d’un de ses amis. Il voulut représenter la situation au mieux, et pour ce faire, il séjourna six mois dans une maison de retraite entourée des personnes âgées, de qui il apprend beaucoup. Il est donc possible que les différents personnages de l’histoire soient directement inspirés de personnes réelles que l’auteur aurait côtoyées.
De plus, Ignacio Ferreras opte pour une animation en 2D parce qu’elle laisse une certaine place à l’interprétation, à la participation de la part du spectateur qui complète la scène qu’il voit rendant ainsi le film à la fois personnel et unique à chacun.
En comparant avec le film Mary et Max, il est intéressant de faire un parallèle entre Emilio et Max (personnage principal du film Mary et Max). Bien que les deux n’aient pas le même âge ni la même maladie psychiatrique (Max est atteint d’un trouble du spectre de l’autisme), les deux protagonistes luttent tous les deux pour pouvoir rester dans une société qui tend à les rejeter. Dans les deux cas, la maladie fait perdre le côté social poussant les personnes atteintes à l’isolement. Les deux protagonistes évitent cependant cet isolement en trouvant une amitié qui leur permet de tenir bon (Miguel pour Emilio et Mary pour Max).
LA PSYCHOPATHOLOGIE
Emilio est atteint de la maladie d’Alzheimer (MA) (trouble neurocognitif majeur). Cette maladie, découverte en 1906 par le Dr Aloïs Alzheimer, touche les personnes âgées (4% de la population après 65 ans, 10% après 85 ans). À savoir que les hommes sont plus touchés que les femmes sur la tranche d’âge entre 65 et 69 ans, mais qu’à partir de 70 ans les femmes sont plus souvent touchées.
Elle est définie par un déclin notoire des capacités cognitives chez la personne concernée, ce qui peut altérer leur autonomie (créant rejet social, tension familiale, isolement…). La MA n’est le plus souvent pas associée à un deuxième trouble psychiatrique ou à un état confusionnel.
Le déclin cognitif progressif que l’on peut observer chez les patients atteints d’Alzheimer est visible tout au long du film pour le cas d’Emilio. En effet, le début du film montre une scène fictive imaginée par Emilio dans laquelle il travaille toujours à la banque même si en réalité il était au milieu d’une dispute entre son fils et sa femme. Le doute semble alors être semé de manière délibérée : s’agit-il uniquement d’une perte de concentration, d’une imagination débordante, ou d’une manifestation de la dégénérescence d’Emilio ? Ce simple exemple met en lumière la mince frontière entre le normal et le pathologique.
Puis, la pathologie évoluera en crescendo au fur et à mesure du scénario, avec des passages où Emilio sera sujet à des épisodes dépressifs, des crises de panique, des pertes d’orientation spatiale et temporelle, ou bien de simples oublis.
Le point de chute dramatique se situe lorsque même le spectateur se retrouve perdu dans les doutes d’Emilio : son ami de chambre, Miguel, lui dérobe-t-il de l’argent à son insu ou il s’agit du fruit de son délire ?
Aussi, la menace du déplacement au dernier étage du bâtiment donne des indications sur la décompensation des troubles neurocognitifs : les patients placés là-bas ne sont plus stimulés et ne sont plus exposés aux interactions sociales.
Comme Emilio, les personnes âgées sont une population particulièrement à risque lors des changements d’environnement et après une période de non-stimulation de circuits neuronaux de base, entrainant un très rapide déclin sur les plans psychologique ainsi que physique.
LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES
Dès le début du film, Emilio est désigné comme le personnage principal, atteint de troubles cognitifs : face à ce qui semble être une énième crise, son fils craque et décide de le placer dans cette résidence. Plus tard dans le film, le médecin de la résidence pose le diagnostic de la maladie d’Alzheimer. Le portrait de la maladie est peu flatteur : les personnes atteintes sont dépendantes, deviennent un poids pour leur famille et présentent des moments de confusion avec quelques moments de lucidité.
Tout au long du film, Emilio va découvrir la vie dans cette institution, avec des résidents ayant perdu tout contact avec la réalité, d’autres s’entraidant comme par exemple le couple de Georgette et Marcel, ce dernier étant gravement atteint d’Alzheimer, certains totalement abandonnés par leur famille, avec le personnage d’Adrienne, profondément seule.
Mais le personnage secondaire sur lequel le film s’attarde le plus reste Miguel, le compagnon de chambre d’Emilio, qui offre un regard cynique, plus froid, détaché de la vie dans ce genre d’institution, et plus largement sur la vieillesse et la fin de vie. En effet, celui-ci semble être engagé dans une lutte constante contre le déclin cognitif dont semblent accablés la plupart des résidents : plaisanteries piquantes, farces à l’humour plus que douteux à l’encontre de résidents, comportements pouvant s’apparenter à de l’abus sur des personnes vulnérables… Si de prime abord ce personnage parait antipathique, celui-ci défend pendant une grande partie du film sa vision de la fin de vie et de cet endroit qui, selon lui, s’apparente plus à un « mouroir » qu’à une résidence, un lieu où les personnes âgées glissent lentement mais sûrement dans l’oubli, la solitude et finalement la mort. Mais ce n’est pas une fatalité, car Miguel entend bien rester le plus longtemps possible sain d’esprit, au moyen de ces nombreuses stimulations rythmant son quotidien. Ce personnage met en exergue une vision de l’encadrement des personnes en fin de vie, en déclin cognitif, et à fortiori atteints de démences, qui se veut critique et engagé. À l’image de cette piscine servant uniquement de vitrine pour attirer de potentiels clients, les dispositifs d’accompagnement semblent superficiels, peu personnalisés, presque inexistants en dehors de quelques activités ayant des allures grotesques et « cartoonesques ».
Un autre aspect important de la vision de la maladie mentale dans ce film reste le fameux dernier étage, un endroit présenté presque comme un mythe que l’on raconte aux enfants pour les effrayer afin qu’ils obéissent aux règles que se révèle aussi dérangeant qu’annoncé. Sont regroupés les cas les plus graves, désespérés, dont on entend les cris depuis les autres étages. Le lieu est chaotique. Le film dénonce une marginalisation de personnes déjà bien trop isolées, un abandon des patients les plus fragiles et ayant plus que jamais besoin d’attentions particulières.
En ce qui concerne le personnel de la maison de retraite, il se fait plutôt discret, exacerbant la solitude et le manque de prise en considération des personnes âgées. On retrouve cependant quelques infirmiers de profils différents, avec le « blagueur » qui utilise l’humour pour répondre aux remarques parfois acerbes des résidents, une infirmière très renfermée qui semble quelque peu anesthésiée par son travail et éprouve une certaine lassitude.
Comme dit précédemment, les activités proposées aux habitants restent très limitées. Cependant, une séance de travail collectif supposée stimuler les réflexes, la coopération, et diverses capacités cognitives des résidents est présentée. Outre l’aspect comique et grotesque de la scène, celle-ci met en évidence le peu de communication entre le personnel et les patients, qui semblent ne pas profiter pleinement de cet instant, mais plutôt détourner l’intérêt principal de l’exercice. Emilio et Miguel s’en amusent d’ailleurs particulièrement.
Cette partie questionne sur les moyens mis en place dans ce type de structure pour assurer le maintien de tous les aspects de la santé des patients souffrant de troubles cognitifs et particulièrement d’Alzheimer : malgré le déclin cognitif progressif d’Emilio, le spectateur n’a presque aucune information sur les traitements, les structures et les activités mises en place de manière active pour celui-ci.
Plus que la maladie d’Alzheimer à proprement parler, La tête en l’air présente une sorte de monde parallèle organisé par cette communauté de personnes perdant peu à peu pied avec la réalité, et contraintes de s’organiser entre elles sans réelle assistance extérieure. Cette question de l’accompagnement de nos personnes âgées et atteintes parfois (et de plus en plus) de troubles mentaux comme Alzheimer est d’autant plus actuelle que bien que notre espérance de vie augmente, le nombre d’années de vies en bonne santé ne suit pas cette tendance.
Un aspect critiquable du film pourrait cependant être le fait que celui-ci s’articule particulièrement sur l’isolement des patients dû à l’abandon par leurs proches une fois le fardeau de la maladie trop lourd à porter. Il serait intéressant d’interroger les politiques et les mesures mises en place pour permettre aux proches de personnes atteintes de démences et autres troubles mentaux d’accompagner dans les meilleures conditions leurs aînés, sans nécessairement passer par le placement en institut.
CONCLUSION
Pour conclure, la volonté du film d’animation La tête en l’air semble être de délivrer un message d’alerte quant à la prise en charge des personnes atteintes de maladies dégénératives telles Alzheimer, mais plus largement vieillissantes.
Dans notre monde où la population mondiale tend à vivre de plus en plus de temps, la question de la prise en charge et de l’accompagnement de nos aînés apparaît comme un enjeu majeur de notre siècle.
Ce film cherche à mettre en lumière le quotidien méconnu de ces personnes qu’on laisse sur le pas de la porte de la maison de retraite, sans chercher à appréhender en profondeur leurs conditions de vie.
La population que la majorité des médecins rencontrent tendant également à vieillir, il semble plus que primordial de s’intéresser à la question du ressenti, des attentes et des besoins des personnes ayant de plus en plus de mal à pouvoir s’exprimer par eux-mêmes.
Références :
American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM-5®). American Psychiatric Pub.
AFP. "La tête en l'air", un film d'animation pour parler de l'Alzheimer [Internet]. Le Point. 2019 [cited 11 March 2019]. Available from: www.lepoint.fr/culture/la-tete-en-l-air-un-film-d-animation-pour-parler-de-l-alzheimer-30-01-2013-1621751_3.php
Mario Georges
Martin Sonnet
Louise Penzenstadler
Gerard Calzada
Faculté de Médecine de l’Université de Genève
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