access_time published 05.08.2019

L’addiction aux opiacés dans le film Trainspotting

Silvia Mato
Zoé Mariot
Théo Willmann
Stéphane Rothen
Daniele Zullino
Gerard Calzada

Film analysis

L’addiction aux opiacés dans le film Trainspotting

05.08.2019

Un film reflétant pas uniquement l’univers de l’addiction à la drogue et ses conséquences, mais aussi l’état d’une partie d’une génération qui erre sans but.

TRAME

Dans la ville d'Édimbourg vivent trois amis, Mark Renton, Sick Boy et Spud. Les trois présentent une addiction à l'héroïne. Le film raconte les mésaventures du personnage principal, Mark, sur un ton résigné et parfois cynique. Ce dernier n'a pas de travail, et son quotidien consiste à trouver de l'argent pour pouvoir acheter de la drogue. Vols de rue ou cambriolages, tous les moyens sont bons, car le besoin irrépressible de consommer est insoutenable. Pour se procurer leur “dose”, ils se rendent dans un vieux squat délabré où ils passent le plus clair de leur temps. C’est aussi le quartier général de la ''Mère supérieure'', alias Swanney, leur dealer. Un jour, Mark Renton en a assez de consommer et décide d'arrêter. Il élabore un plan précis pour y parvenir sans trop souffrir des effets du sevrage. Ce plan comprend, entre autres, la prise d’autres médicaments de substitution, comme des suppositoires d’opiacés et du Valium®. Malheureusement, l’arrêt de l'héroïne s’avère plus difficile à supporter qu’il ne l’imaginait. Lui et ses amis, qui avaient suivi Mark dans son sevrage, rechutent vite et leur consommation redevient sans contrainte ni limite.

Lors d’un braquage, Mark se fait arrêter par les autorités et il est forcé à faire une cure de désintoxication, cure qu’il ne suit pas vraiment. Ce n’est qu’après une overdose que ses parents décident de le prendre en main et de l’enfermer dans sa chambre, dans l’espoir de sevrer leur fils de l'héroïne. La tâche est longue et douloureuse pour Mark, le sevrage physiologique n’est pas la pire des épreuves. En effet, il sera difficile pour Mark de changer ses habitudes, en sachant que tout son environnement et ses amis proches ont un lien avec l’héroïne. C’est pourquoi il décide de partir s’installer à Londres afin de reconstruire une nouvelle vie, sans drogue et sans rien qui puisse l’inciter à consommer.

Il se fait malheureusement vite rattraper par son passé en recevant ses anciens amis d’Édimbourg chez lui à Londres. Pris dans une histoire compliquée d’argent en lien avec une vente d’héroïne, il décide finalement de laisser tomber ses soi-disant amis et de s’enfuir avec le pactole.

CE QU'IL FAUT SAVOIR

Le film Trainspotting a été réalisé en 1996 par Danny Boyle, cinéaste britannique renommé et réalisateur de film tel que Slumdog Millionaire (2008) ou The Beach (2000). Le style de Danny Boyle se reconnaît bien à sa manière de traiter de sujets sensibles et compliqués avec cynisme et humour noir. Trainspotting en est un bon exemple. Il se déroule à une époque un peu troublée de la société écossaise. Le film réussit à faire ressentir, entre autres, la frustration de jeunes adultes qui n’arrivent pas ou qui ne veulent pas s’intégrer à une société qui s’attend à ce qu’ils trouvent un travail, se marient, aient des enfants, achètent une maison et une voiture et finissent par se complaire dans un ennui confortable. Le contexte social dans lequel vivent ces jeunes est décrit comme un facteur de risques pour tomber dans la consommation de drogues et entrer ainsi dans un véritable gouffre duquel il est difficile de s’échapper.

SÉMIOLOGIE

Mark Renton souffre d’un trouble lié à l’utilisation d’opiacés. Plusieurs signes de ce trouble sont mis en exergue dans le film et nous permettent ainsi de poser ce diagnostic.

L’un des plus marquants est le terrible épisode du sevrage de Mark. Il est mis en scène lorsque les parents de Mark essaient de le sevrer de force en l’enfermant dans sa chambre pour l’empêcher de consommer des opiacés. Pendant son sevrage, Mark souffre terriblement et présente une agitation psychomotrice importante, des sudations, des frissons, des hallucinations, et d’énormes crampes musculaires et abdominales douloureuses, ainsi que des insomnies, ceci pendant un certain nombre de jours.

Un autre critère est l’abandon de toute autre activité qui ne soit pas celle de se procurer de la drogue, ce qui se ressent bien dans le tempo du film : les scènes défilent les unes après les autres dans un rythme effréné et le spectateur est pris malgré lui dans cette course haletante de Mark et ses amis pour se procurer l’héroïne. Son débit de parole et son ton cynique lorsqu’il raconte la routine de ses différents braquages témoignent de cette urgence toujours sous-jacente de se procurer sa drogue. C’est son seul but, sa seule motivation, rien d’autre ne le fait sortir de chez lui, il n’en a jamais assez : c’est un signe bien marquant de son addiction toujours plus forte à l’héroïne.

Mark Renton est toutefois le personnage qui a l’air d’être le plus conscient que sa situation est un problème, dans la mesure où il essaie d’arrêter de prendre de la drogue au début du film. Son ami Sick Boy, par exemple, n’a pas l’air de remettre en question sa consommation de drogues, on le voit par exemple quand il rejoint Mark à Londres afin de lui proposer de s’engager dans une affaire de deal d'héroïne supposée leur rapporter un énorme bénéfice.

Mark présente donc bien les 11 différents critères du DSM-5 de l’addiction aux opiacés, comme le fait de passer le plus clair de son temps à rechercher de la drogue ou de continuer à en prendre même si cela met en danger sa vie et celle de son entourage (2). Malgré certaines exagérations, Trainspotting montre bien différents exemples de situations psychopathologiques du trouble lié aux opiacés, il constitue donc un bon support d’enseignement pour expliquer les multiples aspects de cette pathologie.

LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES

La maladie et les patients psychiatriques

Danny Boyle donne ici une illustration poignante des représentations sociales des personnes concernées par l’addiction aux opiacés. Le réalisateur en fait un véritable cliché et donne une vision des personnes concernées par l’addiction comme des êtres en marge de la société qui n’ont ni but ni travail, et qui n’ont aucune responsabilité. Danny Boyle représente bien ce dernier point avec la fameuse scène du bébé laissé pour compte. Les cinq amis se retrouvent donc dans leur endroit fétiche pour leur consommation de drogue journalière. Le bébé d’Allison est complètement livré à lui-même, il se promène à quatre pattes au milieu des seringues, et ceci sans parler de la scène, sûrement la plus choquante du film, où les cinq amis découvrent le corps de l’enfant sans vie dans son berceau, probablement mort de faim depuis plusieurs jours. Le choc est terrible, mais il ne dure pas longtemps, car le besoin du prochain “shoot” d’héroïne se fait vite sentir ; mais aussi, car leur comportement face aux difficultés est automatisé et ils cherchent un soulagement rapide là où ils peuvent le trouver. Avec cette scène, le réalisateur met en avant une image négative de la personne avec une addiction aux opiacés en la décrivant comme irresponsable et incapable de s’occuper d’un enfant.

Par ailleurs, Mark Renton est un jeune homme concerné par une addiction qui, malgré de nombreuses embûches, tente d’arrêter la consommation d’héroïne fortement ancrée dans sa routine. Il est représenté comme un jeune rebelle, totalement perdu et en marge de la société, au regard fatigué et abusé par les substances. Le film contient en effet différentes scènes le représentant avec les clichés typiques des consommateurs d’opiacés, comme dans la scène où il plonge le bras dans des toilettes sales pour récupérer son suppositoire d’opium, ou bien la scène où il se trouve dans un squat insalubre avec ses amis pour consommer.

Le réalisateur réussit toutefois à nuancer et rendre ses personnages plus complexes. Le personnage principal est loin d’être bête et se rend bien compte de ce qu’il lui arrive. Il tente de s’en sortir d’une manière ou d’une autre et programme des stratégies pour se libérer de son addiction.

Au-delà de cette représentation un peu caricaturale, Danny Boyle montre que les personnes souffrant d’addiction ont conscience de leur maladie et que, malgré toutes leurs difficultés, ils peuvent trouver des moyens de s’en sortir. Le spectateur peut même ressentir une certaine empathie envers ces personnages et leurs essais, souvent désespérés, d’arrêter leur consommation. Cette tension entre les descriptions stéréotypées et la mise en avant des émotions des protagonistes a un effet perturbateur sur le spectateur, ce qui l’oblige à prendre position et contribue ainsi, à sa manière, à déstigmatiser des patients parmi les plus défavorisés.

Un autre aspect intéressant du film est l’opposition de vision sociétale entre les différentes drogues qui y apparaissent. D’un côté, Franco Begbie, un ami de Renton, n’est pas considéré comme un “toxicomane” à proprement parler, pourtant sa consommation de tabac et surtout d’alcool est sans limites. Il est, sans hésitation, le plus violent et le plus dangereux de toute la bande, ce qui se manifeste dans la scène où il fracasse jusqu’au sang le visage d’un client du bar qui ne lui avait pas fait grand-chose. D’un autre côté, la mère de Mark prend du Valium, probablement de manière excessive. Danny Boyle reste très lucide sur les différentes représentations sociales de ces différentes substances. Lorsque Franco joue au billard en buvant son whisky ou lorsque la mère de Mark lui propose une cigarette juste après son overdose, il est possible de ressentir implicitement une critique de la hiérarchisation des substances entre légales et illégales, ce qui est en complète dissonance avec les risques de santé publique réels.

Les psychiatres-soignants

Trainspotting ne traite pas à proprement parler du système médical prenant en charge les personnes avec addiction. Cependant, plusieurs scènes exposent des soignants qui interviennent majoritairement dans des cas d’intoxications aiguës aux opiacés.

Mark, à un moment, est arrêté et forcé à faire une cure de désintoxication. Il lui est prescrit de la méthadone pour limiter les symptômes liés au sevrage. Cependant, les doses ne semblent pas être appropriées pour limiter les effets de son sevrage. De plus, aucun suivi psychiatrique ne semble être proposé. Il apparaît ainsi, en quelque sorte, entreposé dans le centre où des doses très peu personnalisées lui sont administrées et où les efforts de prise en charge centrée sur le patient ne semblent pas mis en place.

Malgré le désir de vouloir suivre sa cure, mais pas assez couvert par son traitement, Renton reprend rapidement une seringue d'héroïne avec son dosage habituel. Malheureusement, il ne tient pas compte de la baisse de la tolérance aux opiacés, conséquence de l’arrêt de la consommation d'héroïne associée à son traitement agoniste opiacé sous-dosé. Il fait alors une overdose non mortelle qui le mène aux urgences.

C’est à ce moment du film où il est réellement possible d'observer une infrastructure médicale. Mark Renton est déposé devant l’entrée des urgences par le taxi et l’attitude du chauffeur semble donner l’impression que ce type de courses à l’hôpital est habituel. Mark est “ramassé” par les soignants de manière totalement détachée et placé sur une civière. Il défile alors dans les couloirs de l’hôpital, devant le regard dégoûté et impassible des autres malades, tel un chariot de course dans un supermarché.

L’équipe médicale traite l’overdose avec une seule et unique administration intraveineuse d’un médicament (certainement la Naloxone) et laisse partir Mark rapidement avec les parents, pratique qui ne correspond pas à la procédure recommandée sachant que la demi-vie de la Naloxone est plus courte que celle des opiacés qui ont provoqué l’overdose. Il y a ainsi un risque de refaire une overdose durant les premières heures après le début du traitement.

Le milieu hospitalier semble traiter ces personnes avec mépris et sans aucune compassion. Les soignants lui sauvent la vie, mais ne se soucient pas de la suite. Aucun travail d'évaluation et aucune proposition de suivi ne sont réalisés.

LIENS AVEC D'AUTRES FILMS OU MÉDIAS

Le thème de l’addiction est fréquemment exploité au cinéma. Étant encore tabou dans plusieurs sociétés, les cinéastes l’utilisent de manière récurrente afin de proposer des visions différentes sur ces types de comportements.

Un des premiers films destinés au grand public centré sur ce problème en tant que tel est The Lost Weekend, un film de 1945 qui expose les difficultés qu’expriment les personnes souffrant d’addiction à l’alcool. Les liens de ce film avec Trainspotting sont nombreux. En effet, dans ces deux longs métrages, la thématique de l’addiction est exposée au premier plan. Cela permet au spectateur de se placer dans la peau de ces personnes. Les deux films, malgré leur différence générationnelle, portent un regard relativement objectif sur les personnes souffrant d’addiction et tentent plutôt de les déstigmatiser en montrant toute l’humanité qui existe dans ces personnages.

Le film “Requiem For a Dream” traite également des problèmes d’addiction, en particulier à la cocaïne. Les deux films illustrent parfaitement bien le fait que ces personnes passent la grande majorité de leur temps à la recherche leur produit psychoactif ce qui les empêche de s’intégrer dans la société. Sans une prise en charge adéquate, il est alors très difficile de réussir une réhabilitation.

CONCLUSION

Pour conclure, Trainspotting est un film qui montre de manière cynique et dans un cas extrême la vie d’une personne qui présente un trouble lié à l’utilisation des opiacés. Danny Boyle porte un regard critique sur la banalisation des drogues légales comme l’alcool, la cigarette ou encore sur certains médicaments, ajoutant ainsi un questionnement politique à une histoire très émotionnelle. Ce film montre ce que peuvent vivre les personnes concernées par l’addiction aux opiacés, c’est-à-dire une stigmatisation continue et un rejet de la société, même par les soignants qui sont censés être compréhensifs et à l’écoute. Danny Boyle place le spectateur dans la perspective des protagonistes, ce qui lui fait prendre leur parti et ressentir de l’empathie envers leur situation.

Ce long métrage peut être bénéfique pour les soignants qui, en le regardant, se mettront à la place de la personne dépendante, dans toute l’ambivalence de sa situation, et pourront mieux comprendre ce qui fait qu’un toxicomane peine à se sortir de son addiction. Ce film devrait aussi être vu par le grand public, car malgré le fait qu’il donne une vision stéréotypée de cette pathologie, il donne aussi des visions qui ne sont pas forcément ancrées dans la pensée générale, comme celle que les personnes concernées par l’addiction sont des personnes qui réfléchissent à leur situation, et qu’ils ont souvent une réelle souffrance vis-à-vis de leur addiction.

Le film montre l’addiction sous toutes ses facettes, couvrant toute la sémiologie associée, posant un œil critique sur les systèmes de soins, les différentes attitudes auxquelles ces personnes peuvent être confrontées. Il est un des meilleurs supports d’enseignement de la filmographie récente, tant au niveau de la compréhension de la psychopathologie, que pour montrer l’erreur de laisser un patient avec une addiction aux opiacés tout seul et sans aide. C’est un bon exemple de situation où la mise en place d’un bon système de soins et d’une relation médecin-patient serait tout à fait bénéfique.

Trainspotting est un film facile d’accès dans la mesure où la forme colle parfaitement au fond : que ce soit dans le choix de la bande originale (entre techno pour les scènes de torture psychologique du sevrage de Mark ou rock des années 60 pour les courses poursuites) qui témoigne aisément du contexte culturel de l’époque, ou dans le rythme des scènes et de la narration qui nous entraînent dans cette spirale infernale de la consommation effrénée d’héroïne.

La qualité dramaturgique du film se ressent aussi dans sa dualité quant à sa thématique ; il ne reflète pas uniquement l’univers de l’addiction à la drogue et ses conséquences, mais aussi l’état d’une partie d’une génération qui erre sans but, lassée par la seule perspective de vie qui leur est proposée, c’est à dire métro-boulot-dodo. Peut-être que l’on peut y voir une raison au désir de cette bande de jeunes de s’échapper à ce quotidien maussade et ennuyant en se réfugiant dans une drogue qui leur procure une once de magie, ne serait-ce que pour quelques heures. C’est sûrement là l’essence du problème, une société qui ne tourne pas rond, qui impose les mêmes attentes pour tout le monde, attentes que Mark critique tout au long du film : choose your future, choose life.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

  1. Kaganski S. Les Inrockuptibles [En ligne]. Paris; 1995. Trainspotting; 1995 [mis à jour le  30 novembre 1995; consulté le 7 mars 2018] Disponible:https://www.lesinrocks.com/cinema/films-a-l-affiche/trainspotting/
  2. Elizabeth Hartney. Very Well Mind [En ligne]. New York; 2018. DSM 5 Criteria for Substance Use Disorders, 2018 [mis à jour le 19 février 2018; consulté le 7 mars 2018]. Disponible:https://www.verywellmind.com/dsm-5-criteria-for-substance-use-disorders-21926
  3. Yannick. Le blog du cinéma [En ligne]. Marseille ; 2008.Critique de Trainspotting réalisé par Danny Boyle; 2009 [mis à jour le 14 août 2009; consulté le 7 mars 2018]. Disponible:https://www.leblogducinema.com/critiques/critiques-films/critique-trainspotting-3977/
  4. Kaakok[En ligne]. France, 2006[mis à jour le 3 novembre 2006; consulté le 14 mars 2018] Disponible:https://www.kaakook.fr/citation-718

Silvia Mato

Zoé Mariot

Théo Willmann

Stéphane Rothen

Daniele Zullino

Département de psychiatrie, Université de Genève

Gerard Calzada

Faculté de Médecine de l’Université de Genève

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