access_time published 15.02.2017
Le trouble bipolaire dans le film Silver Linings Playbook
Chayma Bettaieb
Venera Shabani
Stéphane Rothen
Daniele Zullino
Gerard Calzada

Film analysis
Le trouble bipolaire dans le film Silver Linings Playbook
15.02.2017
Une comédie romantique où les protagonistes souffrent de troubles psychiatriques.
Silver Linings Playbook (2012). Based on the novel by Matthew Quick. Written and directed by David O. Russell.
Trame
Après avoir passé plusieurs mois au sein d’un hôpital psychiatrique, dans lequel il a été interné suite à la violente agression envers l’amant de son épouse Nikki, Pat Solitano (Bradley Cooper) retrouve la liberté. Durant son séjour à l’hôpital, il lui est diagnostiqué un trouble bipolaire. Ayant tout perdu, sa femme, son travail et sa maison, il se voit obligé de retourner vivre chez ses parents. Plein d’optimisme et parfois un peu exalté, il est déterminé à reprendre sa vie en main et à affronter toutes épreuves pour se réconcilier avec sa femme, malgré qu’on lui ait juridiquement interdit de s’en approcher.
Il fait alors la connaissance de Tiffany (Jennifer Lawrence), qui n’est autre que la sœur de Veronica, amie de Nikki. Tiffany, facilement déprimée et contrariée, traverse aussi une période difficile ; son mari est mort et elle vient de perdre son travail. Pat voit en Tiffany un moyen de communiquer avec Nikki. Tiffany accepte de transmettre une lettre à Nikki à condition que Pat participe à un concours de danse avec elle. Nait alors une romance inattendue entre les deux protagonistes.
Contexte historico-culturel
Silver Linings Playbook est un film du genre comédie dramatique, réalisé en 2012 par David O. Russell. Il s’agit de l’adaptation du livre The Silver Linings Playbook de Matthew Quick. Le film s’inscrit dans un contexte contemporain, prenant place aux États-Unis.
Ce film met en avant la romance entre Pat et Tiffany, les deux protagonistes de l’histoire. Bien que le film suive un schéma classique, il convient de souligner la particularité de ce dernier qui en fait tout son charme; les deux héros souffrent de troubles psychiatriques. Le film questionne ainsi la notion de «normalité» dans une société.
Alors que dans le livre le trouble mental de Pat n’est pas clairement spécifié, dans le film les spectateurs apprennent dès le début que le personnage est atteint de trouble bipolaire. Le choix du réalisateur d’identifier formellement le trouble comme étant un trouble bipolaire est un choix assumé. En effet, David O. Russel a une certaine expérience de la maladie, son fils souffrant de trouble bipolaire. Le fait d’être personnellement concerné a grandement aidé à l’écriture du scénario. Il relate en interview que certaines scènes du film sont semblables à ce qu’il a traversé avec son fils. Notons également que son fils Matthew Russell fait plusieurs apparitions dans le film: il joue le rôle du jeune voisin désireux d’interviewer la famille Salitano pour un projet d’école sur les maladies mentales [1].
Psychopathologie
Dans le film, le personnage principal, Pat, est diagnostiqué avec un trouble bipolaire. L’autre personnage, Tiffany, présente des symptômes de trouble de personnalité de type Borderline et d’un trouble dépressif, sans pour autant le mentionner explicitement dans le film. Parmi ces symptômes, on peut citer les relations interpersonnelles instables et intenses caractérisées par une alternance entre idéalisation et dévaluation ou encore la difficulté à contrôler sa colère [2]. Elle est plutôt présentée dans le film comme "fofolle" ou "instable".
Le trouble bipolaire est caractérisé par une fluctuation importante de l’humeur qui dépasse les seuils normaux. Comme son nom l’indique, il se traduit par une alternance de phases dites de manie (ou hypomanie) qui se manifestent souvent par une augmentation significative de l’énergie et de phases de dépression. Il existe des intervalles libres entre ces deux phases. Ce trouble est souvent associé à de nombreuses comorbidités, d’où la complexité de son diagnostic.
Les troubles bipolaires sont présentés dans le film d’une manière assez réaliste, mais néanmoins partielle. Par exemple, la scène où Pat jette le roman d’Hemingway par la fenêtre à 4h du matin à cause de la fin tragique de l’histoire et fait irruption dans la chambre à coucher de ses parents montre bien un l’expression d’un épisode maniaque typique, accompagné d’un manque de sommeil caractéristique de cette phase.
Le film montre aussi une certaine irritabilité de Pat. On peut éventuellement la lier, comme suggéré par Keith Oatley [3], aux troubles intermittents explosifs. La phase dépressive du trouble et l’alternance avec la phase maniaque ne sont cependant pas montrées dans le film. Peut-être parce que la phase maniaque se prête mieux à la dynamique d’un film destiné principalement au divertissement. Notons aussi que dans le cas du trouble bipolaire de type I, la phase dépressive n’est pas nécessaire pour poser le diagnostic, la phase maniaque étant suffisante pour le diagnostic.
En posant d’emblée le diagnostic de trouble bipolaire au début du film d’une manière assez tranchée, le long-métrage ne relève pas la complexité d’un tel diagnostic ainsi que la problématique associée aux multiples comorbidités avec d’autres troubles. En fait, ce diagnostic ne fait pas partie du livre duquel le film s’inspire et a été rajouté dans le scénario. Dans la pratique actuelle, le médecin met en général huit à dix ans après le début des symptômes pour poser le diagnostic [4].
Le film soulève aussi la question du rôle des évènements traumatiques dans le déclenchement de certaines maladies psychiatriques. La mort de son mari, dans le cas de Tiffany et l’infidélité de sa femme, pour Pat. Ces évènements peuvent favoriser l’émergence d’un trouble ou le rendre plus sévère.
Malgré la représentation partielle de la pathologie (e.g. absence de phase dépressive), le film pose plusieurs questions intéressantes, telles que la question sur le sens de la normalité dans une société et la tolérance vis-à-vis des comportements dits « anormaux ». Entre superstition exagérée des fans de football et le comportement des individus atteints par des troubles mentaux, il n’est pas évident de relever des critères objectifs de normalité. En fait, le film présente une histoire romantique classique dont l’excentricité des personnages s’éloigne significativement des profils idéalisés et lisses auxquels le spectateur pourrait s’attendre. Néanmoins, les personnages sont sympathiques et attachants malgré leur différence affichée. Le spectateur est ainsi confronté à un exercice assez efficace d’ouverture et de tolérance.
Le film s’interroge aussi sur le rôle du support social et l’impact des relations sentimentales enrichissantes sur l’évolution positive d’une pathologie. Le risque est cependant de réduire le message du film à la suggestion que l’amour puisse remplacer les médicaments. Dans le film, le support social de Pat est constitué par un ensemble de personnes qui incluent le Dr Patel, la mère de Pat, Tiffany et un policier chargé de contrôler que Pat suive les engagements posés par l’institution psychiatrique.
Le film ne se prête que partiellement pour un enseignement de la psychopathologie du trouble bipolaire. En effet, il ne montre pas l’alternance des phases dépressives et maniaques et ne relève pas la complexité du diagnostic. Néanmoins, le film reste un excellent moyen pour entamer une discussion autour de cette thématique.
Représentations sociales
La maladie et les patients psychiatriques
Le film représente la maladie psychiatrique d’une manière réaliste. Il réussit à introduire de l’humour sans stigmatiser les personnages. Il permet ainsi au spectateur de pouvoir s’y attacher.
Pat et Tiffany sont capables de mettre en place un projet d’envergure, à l’exemple du concours de danse. Ils s’y sont investis sur la durée. Ceci a même aidé Pat à se poser, à canaliser son énergie et à bien structurer sa journée. Les patients apparaissent ainsi comme des personnes désavantagés mais non dénués de ressources internes.
Les psychiatres-soignants
Le portrait du psychiatre de Pat, le Dr Patel, est peu élogieux. Il est inefficace dans son rôle de soignant, donnant par exemple des conseils futiles: "il faut trouver un moyen de surpasser le problème …", au lieu d’aider le patient à avoir les compétences nécessaires pour bien gérer sa maladie. Il va même jusqu’à provoquer Pat en rejouant une chanson qui lui rappelle un évènement traumatisant.
À la fin du film, Dr Patel est atteint par la frénésie du football. Il rejoint Pat au match des Eagles comme fan inconditionnel. Il va même visiter Pat dans sa maison après le match. On le voit dans le salon de Pat, torse nu et fortement alcoolisé, donnant l’image d’un soignant lui-même en perte de contrôle.
Dans le film, le rôle du psychiatre reste périphérique, servant au mieux à agrémenter l’histoire.
Le système psychiatrique
Les premières scènes du film prennent place dans la clinique de psychiatrie où est interné Pat. On y apprend que Pat y séjourne depuis 8 mois. Plusieurs scènes montrent des représentations du système psychiatrique hospitalier. On peut voir notamment la distribution et le contrôle de la prise des médicaments à chacun des patients ou encore la fameuse scène ou Pat crache, après contrôle, son médicament. On peut également observer Pat pendant une thérapie de groupe. Ces scènes typiques qu’on retrouve dans de nombreux films, comme par exemple Girl, Interrupted (1999, James Mangold), renforcent davantage un stéréotype du système psychiatrique hospitalier.
Pour ce qui est du personnel de la clinique, il n’est que très discrètement présent. En effet, l’accent est mis avant tout sur Pat et son fonctionnement dans l’institut. Il semble plutôt s’y être adapté, on peut le voir faisant du sport pour rester en forme.
Liens avec d'autres films
D’autres films vont plus loin dans la présentation des différentes phases des troubles bipolaires. Notamment, la série Homeland, avec le personnage de Claire Danes, un agent de la CIA atteinte de troubles bipolaires [5].
Ces films représentent un support d’enseignement assez intéressant, car ils peuvent couvrir une période temporelle assez longue pour montrer les différentes phases de la maladie. Ce qui n’est pas généralement possible dans le cadre d’un stage en cabinet ou même en milieu hospitalier. D’autres aspects pédagogiques sont cités dans la littérature [6] telle que l’analyse de la communication non verbale en suivant des scènes avec et sans bande sonore.
Ruth Lévine de l’université de Texas a établi un catalogue de films, répertoriés selon les critères du DSM IV [7]. Pour les troubles bipolaires, elle cite les films : Mr. Jones, Network, Seven Percent Solution, Captain Newman MD, Sophie’s Choice, et She’s So Lovely.
Le film Silver Linings Playbook se distingue par un récit tourné résolument vers la comédie. On peut aussi citer dans la même lignée, le film récent (2014) "Daddy Cool" (titre original: "Infinitely Polar Bear") de Maya Forbes [8] où Mark Ruffalo joue le rôle d’un père atteint de trouble bipolaire.
Conclusion
De par son scénario qui sort de l’ordinaire, il est permis d’appeler Silver Linings Playbook un film innovateur. David O. Russell a su revisiter la comédie romantique traditionnelle en y couplant amour et folie.
La représentation du trouble bipolaire, bien que non stigmatisante et non exagérée, est moyennement adéquate à l’enseignement de la psychopathologie. En effet, le film n’offre qu’une vision partielle du trouble bipolaire. La phase maniaque du trouble dominant la totalité du film, on ne peut qu’inévitablement constater le manque de changement d’humeur et de la phase dépressive. Ainsi, le film ne se prête que partiellement à un enseignement de la psychopathologie du trouble bipolaire, mais reste une excellente occasion pour ouvrir un débat sur le sujet. Il permet en effet de questionner l’importance et le rôle de l’entourage et du support social dans le traitement de la pathologie ainsi que sur l’assignation du diagnostic.
Quant au système de soin et les psychiatres, le film propose une image assez banale et inefficace de ces derniers, ne renforçant que des stéréotypes sur la psychiatrie présents depuis longtemps dans l’histoire du cinéma.
Notre avis personnel
Silver Linigs Playbook est un film divertissant, original et agréable à visionner. Bien qu’innovateur, on peut tout de même reprocher une fin très classique, digne d’une "happy ending" à l’américaine. La fin heureuse, où l’amour triomphe et soigne la maladie, peut décevoir. Pourquoi ne pas pousser la folie jusqu’au bout …
Références
1. Stacey Wilson Hunt. The Hollywood raporter [Internet]. David O. Russell, Son Open Up About Personal Struggles Behind 'Silver Linings Playbook'. [updated 2013 february 23; cited avril 2016]. Available from: www.hollywoodreporter.com/news/david-o-russell-son-open-423722
2. Devon Shalom. Prezi [Internet]. Silver Linings Playbook Character Mental Analysis. [updated 2014 december 8 ; cited avril 2016]. Available from: https://prezi.com/nmsubqb37n6x/silver-linings-playbook-character-mental-analysis/
3. Keith Oatley. Freudian clip film club [Internet]. Hope Springs – reprint of review and analysis of ‘Silver Linings Playbook’ by Keith Oatley Professor of Psychology University of Toronto. [updated 2013 may 28; cited 2016]. Available from: https://freudianclip.wordpress.com/2013/05/28/hope-springs-reprint-of-review-and-analysis-of-silver-linings-playbook-by-keith-oatley-professor-of-psychology-university-of-toronto/
4. Anne Prigent. Le Figaro [En ligne]. Bipolaire: il faut dix ans pour poser le bon diagnostic. [mis à jour le 31 mars 2015 ; consulté en avril 2016]. Disponible: sante.lefigaro.fr/actualite/2015/03/31/23566-bipolaire-il-faut-dix-ans-pour-poser-bon-diagnostic.
5. Richard LeBeau. Psychology In Action [Internet]. Silver Linings Playbook, Makes a Hit Film Out of a Risky Concept : A Romantic Comedy about the Mentally Ill. [updated 2013 January 26; cited avril 2016]. Available from: http://www.psychologyinaction.org/2013/01/26/silver-linings-playbook-makes-a-hit-film-out-of-a-risky-concept-a-romantic-comedy-about-the-mentally-ill/
6. Subodh Dave, Kopal Tandon. Cinemeducation in psychiatry. In: Advances in Psychiatric Treatment [Internet]. Available from: apt.rcpsych.org/content/aptrcpsych/17/4/301.full.pdf
7. Ruth Levine. Dartmouth College, association of directors of medical student education in psychiatry (ADMSEP) Internet resources. Films which demonstrate pathologies. [cited avril 2016]. Available from: www.dartmouth.edu/~admsep/resources/cinema.html.
8. Suzanne Lachmann Psy.D. Psychology Today [Internet]. Infinitely Polar Bear: Rare Portrayal of Bipolar Disorder. [updated 2015 jun 19, cited avril 2016]. Available from: https://www.psychologytoday.com/blog/me-we/201506/infinitely-polar-bear-rare-portrayal-bipolar-disorder
Chayma Bettaieb
Venera Shabani
Stéphane Rothen
Daniele Zullino
Département de psychiatrie, Université de Genève
Gerard Calzada
Faculté de Médecine de l’Université de Genève
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