access_time published 14.10.2019

Le trouble lié à l’utilisation d’alcool dans le film The lost weekend

Océane Lataste
Nicolas Nzale
Ariella Machado
Gabriel Thorens
Gerard Calzada

Film analysis Supervision

Le trouble lié à l’utilisation d’alcool dans le film The lost weekend

14.10.2019

«The lost weekend» est un film réalisé par Billy Wilder basé sur une nouvelle autobiographique de Charles R. Jackson qui raconte sa lutte face à l’alcoolisme.

TRAME

Don Birnam est un écrivain new-yorkais non reconnu par le public qui souffre d’un trouble lié à la consommation d’alcool. Il prépare sa valise pour un weekend à la campagne avec son frère Wick. Ce séjour est prévu pour l’aider à vaincre son alcoolisme et écrire son roman. Helen, la petite amie de Don, arrive à l’appartement avec deux billets gratuits pour un concert. Don dit qu’il a besoin de se reposer avant de prendre le train et incite Wick à accompagner sa compagne. Il se retrouve seul dans l’appartement et vole l’argent de la femme de ménage pour acheter deux bouteilles de whisky. Il se rend ensuite au Nat’s bar où il perd la notion du temps. Il arrive trop tard à l’appartement pour partir avec son frère qui ayant perdu patience décide de partir seul en weekend. Seul chez lui, Don cache une des deux bouteilles de whisky et boit l’autre.

Le lendemain matin, il retourne au Nat’s bar. Il raconte à Nat sa rencontre avec Helen à l’opéra. Alors qu’il fut pris d’une envie irrépressible de boire, il dut attendre la fin de la représentation pour récupérer son manteau et sa bouteille qui avaient été échangés avec le manteau d’Helen. Il tomba amoureux et ne toucha pas à l’alcool pendant six semaines. Malheureusement, il rechuta lorsqu’il apprit que les parents d’Helen ne l’estimaient pas capable de rendre leur fille heureuse. Après avoir partagé ce récit avec Nat, Don rentre chez lui pour tenter d’écrire. L’inspiration ne venant pas, il cherche la bouteille de whisky qu’il a cachée.

Le samedi matin, le jour de Yom Kippour, Don marche à bout de force dans les rues. Il a l’espoir de trouver un prêteur sur gage pour lui vendre sa machine à écrire. Tout est fermé. Il se rend alors chez Gloria qu’il séduit pour lui soutirer 10 dollars. Mais en quittant l’appartement, il tombe et dévale les escaliers.

Il se réveille le dimanche matin à l’hôpital. Il fait la rencontre d’un infirmier cynique qui le considère comme tous les autres alcooliques : incapable d’arrêter de boire. Il le juge et ne lui donne aucun espoir en ses capacités d’arrêter. Don passe une nuit parmi d’autres alcooliques en plein delirium tremens. Il a peur et profite de la distraction des infirmiers occupés avec les patients pour quitter l’hôpital. En ville, il vole un litre de whisky et rentre chez lui pour boire. Pendant la nuit il délire. Il voit une souris dans le mur se faisant attaquer par une chauve-souris. Ses cris effrayés alertent une voisine qui appelle Helen.

Le lundi matin, Don quitte l’appartement avec le manteau de sa compagne, celui de leur rencontre. Il l’échange contre une arme. Helen arrive de justesse à l’appartement avant que Don ne passe à l’acte. Elle essaye de le raisonner en lui montrant qu’il est plein de ressources pour arrêter de boire. Soudain, Nat le barman ramène la machine à écrire qui avait été oubliée au bar. Un déclic se produit en Don. Il est inspiré et décide d’écrire son roman sur ce weekend. Afin d’appuyer ses propos, Don dépose sa cigarette dans son verre de whisky pour le rendre imbuvable.

CE QU'IL FAUT SAVOIR
«The lost weekend» est un film réalisé par Billy Wilder basé sur une nouvelle autobiographique de Charles R. Jackson qui raconte sa lutte face à l’alcoolisme. Le film sort en 1945, une année après le livre, une vingtaine d'années après la prohibition (1920-1927) et peu de temps après la grande dépression (1933-1939). Comme beaucoup d’Américains, cet événement a favorisé le développement de l’alcoolisme de l’auteur.  En 1935, se créée la fondation des alcooliques anonymes pour remédier à l’incapacité des autres approches à traiter ce trouble. Cependant, cette approche thérapeutique n’est pas mise en scène dans le film qui montre plutôt l’approche hospitalière d’internement. D’ailleurs, il est intéressant de noter que l’acteur Ray Milland interprétant le rôle de Don Birman a eu lui aussi des problèmes liés à l’alcool. Il a été interné une nuit à l’hôpital de Bellevue dans le "booze tank" qui est le nom donné au service des alcooliques. L'acteur a passé la nuit dans un lit de fer et a tenté de fuir du service. Cela a donné l'idée au réalisateur de reproduire la scène dans le film. Initialement, la scène devait être tournée dans l'hôpital de Bellevue, mais l’hôpital a finalement refusé le tournage dans ses locaux afin de ne pas ternir son image. Milland décrit dans son autobiographie que “l'endroit renfermait une multitude d'odeurs, mais la principale était celle d'un cloaque. On pouvait y entendre des pleurs et des gémissements silencieux. Un homme racontait sans cesse du charabia et deux autres des détenus étaient attachés à leur lits.”*
Finalement, la grande dépression a favorisé le développement de l’alcoolisme. Ce trouble devient un problème de société majeur mais malgré ce contexte, «The lost weekend» est le premier film hollywoodien à traiter l’alcoolisme comme une maladie. Ce concept sera repris à maintes reprises, notamment par « The day of wine and roses » de Blake Ewards. L’industrie de l’alcool a menacé de poursuivre « The Lost weekend » pour son impact négatif sur l’image de l’alcool. Après une bonne réception du film par le public, cette idée fut abandonnée.

PSYCHOPATHOLOGIE
Lors de la sortie du film, les critères actuels des classifications psychiatriques n’existaient pas encore et l’alcoolisme était majoritairement considéré par la population comme un vice ou une faiblesse morale. Nous allons néanmoins mettre en évidence les éléments qui s’apparentent dans le film aux critères actuels du DSM 5 du trouble lié à la consommation d’alcool.

Sur les 11 critères, deux concernent la dépendance physique : la tolérance et son corollaire le sevrage. Les 9 autres ciblent l’impact comportemental de l’addiction.

Commençons par la dépendance physique et observons tout d’abord si Don présente une tolérance à l’alcool. Le film ne se déroule que sur l’espace d’un week-end et ne nous permet pas d’observer l’augmentation des quantités d’alcool consommées par Don au fil du temps. Néanmoins nous pouvons dire qu’au vu des fortes quantités de boissons alcoolisées ingérées durant le film (plusieurs bouteilles d’alcool fort qui contiennent chacune en moyenne 200 grammes d’alcool pur), il paraît évident qu’il présente une tolérance élevée comparée à toute autre personne n'ayant pas l’habitude de consommer. Concernant les signes de sevrage physique qui se manifestent classiquement par des tremblements, une tachycardie, des sudations, etc. les symptômes pouvant aller jusqu’au delirium tremens avec des hallucinations, un état confusionnel et le décès du sujet. Si le film montre peu de symptômes spécifiques de sevrage chez Don (tremblements, sudations etc.), un épisode d’état confusionnel avec hallucinations est décrit durant lequel il a l’impression d’être attaqué par des chauve-souris dans son appartement. Ces symptômes peuvent être apparentés à ceux d’un épisode de Delirium. A noter que la recherche constante du produit par Don peut être due à son besoin d’atténuer les symptômes de sevrage physiques qu’il pourrait ressentir.

Passons maintenant les critères comportementaux en revue :

1)     L’alcool est pris en quantité plus importante et sur une période plus longue que prévue : Don a prévu de ne boire qu’un verre pour pouvoir ainsi rejoindre son frère, il se retrouve à en boire plusieurs. Malgré les multiples rappels du barman, il quitte le bar trop tard et ne part pas en weekend.

2)     Désir persistant de diminuer ou d’arrêter la consommation sans succès : Après avoir rencontré Helen, Don est resté abstinent pendant une période avant de rechuter. Il a donc le désir d’arrêter sans y parvenir. Lorsqu’il commande son premier verre au Nat’s bar, il hésite à y verser les cendres de sa cigarette pour le rendre imbuvable, mais il y renonce et finit par le boire.

3)     Un temps important est passé à obtenir et/ou consommer de l’alcool et récupérer de ses effets : Don est prêt à marcher plusieurs heures afin de trouver un prêteur sur gage ouvert le jour de Yom Kippour pour se procurer de l’argent pour acheter de l’alcool.

4)     Craving ou désir intense de consommer : Don présente une envie irrépressible de consommer. Il devient même violent et saccage son appartement afin de trouver une bouteille d’alcool cachée.

Les critères 5 à 7 comprennent  l’impact négatif de l’alcool sur le travail, les activités et les relations sociales :   Dans le film, presque toutes les actions entreprises par Don sont dans le but de trouver de l’alcool. Il est incapable d’écrire et ne se procure de l’argent que pour s’acheter à boire. Pour cela, il tente de vendre sa machine à écrire, vole la femme de ménage et abuse des sentiments de Gloria pour lui soutirer de l’argent.  Lorsqu’il n’arrive pas à en avoir, il va supplier Nat le barman de lui servir un verre de whisky. Il va même menacer un marchand de lui donner un litre d’alcool. Il se trouve en mauvais termes avec son frère qui a la volonté de l’aider et il évite sa partenaire tout le long du film alors qu'elle est la seule personne qui croit réellement en sa capacité d’arrêter.

8) Utilisation de l’alcool dans des situations dangereuses : Don déambule dans la rue en état d’ébriété et Helen se soucie qu'il se fasse renverser par une voiture.

9) Poursuite de la consommation malgré des problèmes physiques ou psychologiques : Don est déprimé et suicidaire à la fin du film, il évoque également des problèmes de santé (problèmes rénaux) mais cela ne freine pas sa consommation. Son état de santé est tel qu’il en arrive à l’hospitalisation.

En résumé Don rempli les critères pour un trouble lié à la consommation d’alcool sévère car il présente plus de 6 critères DSM.

LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES


- La maladie

Tout d’abord,  la maladie liée à la consommation d’alcool est très souvent stigmatisée dans notre société. En effet, les personnes qui en souffrent sont parfois mises à l’écart car elles sont considérées comme faibles ou mauvaises. Dans le film, Don est un écrivain alcoolique sans inspiration qui ne gagne pas d’argent. Il est associé à un homme sans volonté quand il n’arrive pas à arrêter de boire, comme un voleur quand il vole pour s’acheter de l’alcool et comme quelqu’un d’imprévisible et dangereux quand il achète une arme et l’utilise pour menacer autrui. Ces différentes caractéristiques sont considérées comme nuisibles dans le fonctionnement d’une société et peuvent amener à l’exclusion sociale. Cette exclusion est représentée à l’hôpital de Bellevue où Don est interné. Les patients avec une addiction à l’alcool présentant un delirium tremens s’agitent de façon violente et bruyante ce qui oblige les infirmiers à les retenir de force. La présentation de la dangerosité associée à l’alcoolisme atteint son paroxysme lors de cette scène.

De plus, la maladie liée à la consommation d’alcool entraîne une auto-stigmatisation. Lorsque Don déambule en ville et dans les bars, il est considéré comme “un homme qui boit”, un malade. Ces associations font souffrir le protagoniste qui aimerait être reconnu en tant qu’écrivain et non comme un homme souffrant d’un addiction à l’alcool. Son côté artistique n’est pas valorisé ce qui a probablement entraîné sa dépendance. Il se rend compte qu’il est jugé, il a honte et essaye de cacher son mal être. Par exemple, il recouvre le dessus du paquet contenant deux bouteilles de whisky avec des pommes. Malgré ce mal être,la volonté d’être reconnu en tant qu’écrivain, ainsi que la connaissance des conséquences néfastes de sa consommation, il n’arrive pas à arrêter. En effet, Don est attaché aux bienfaits apportés par la substance. Il identifie l’alcool à “ la boisson de rêve”. Il se compare à Moïse, Michel Ange et il cite même deux répliques de pièces de William Shakespeare. Sous l’effet de l’alcool, Don fait l’expérience d’un sentiment de toute puissance ce qui contribue sûrement à la répétition de la recherche de ces effets bénéfiques.

Don est ainsi coincé entre les effets néfastes et les bienfaits de sa consommation. Cette ambivalence est particulièrement présentée au Nat’s Bar où il est un client assidu. Il entretient une relation complexe avec le barman. En effet, Nat le fait réaliser qu’il est entouré d’un frère et d’une compagne aimants, qu’il a tout le nécessaire pour arrêter sa consommation excessive. Mais de l’autre côté, il continue à lui servir des verres. Il est probable qu’il le fait pour éviter une scène désagréable dans son bar, mais cette relation ambivalente entre le barman et Don reflète aussi l’ambivalence que ressent Don face à sa propre consommation.


- Les soignants et le système de soins :


Le film donne une image délétère du système de soins. Après avoir fait une chute, Don Birman se retrouve à l'hôpital dans le service en charge de personnes alcooliques. Cet hôpital est comparable à une prison. Les malades sont entassés sur des lits de fer dans une même salle obscure dont la sortie est surveillée par un agent de la sécurité.  On ne voit que des patients hommes ainsi qu’un personnel soignant masculin. A son réveil, Don se retrouve face à un infirmier cynique qui lui fait comprendre qu'il n'y a pas d'échappatoire à son problème et qu'il finira par revenir comme tous les autres alcooliques. Ce dernier se donne le droit de formuler un jugement moral lorsqu'il dit "tu as eu ce que tu mérites!". Ce jugement est comparable à celui d’un juge donné à un prisonnier méritant sa peine alors qu’un soignant ne doit en principe porter aucun jugement et rester neutre envers ses patients. Cette séquence du film dans l’hôpital est terrifiante et met en exergue la souffrance des malades atteint d’addiction à l’alcool qui n’est pas reconnue par le système de santé. En présentant l’institution hospitalière comme une prison et un personnel soignant sans empathie et jugeant moralement les malades, le film dénonce cette approche thérapeuthique. Les patients ne sont pas pris en charge comme des malades mais seulement mis à l’écart de la société pour éviter de nuire à autrui. 

Finalement, contrairement à une équipe de soignants masculine, brutale et sans empathie, Helen est la seule personne qui voit l'addiction de Don comme une maladie à part entière. Son amour pour son conjoint et ses encouragements répétés quant à ses capacités d’écriture permettent à Don de sortir de son addiction et d’éviter le suicide.

Ainsi, le film met en avant qu’une approche empathique basée sur les encouragements et la confiance est la prise en charge adéquate d’un malade souffrant d’un trouble lié à la consommation d’alcool contrairement à une approche hospitalière d’internement.

CONCLUSION
Dans notre société, l’alcool est une substance licite et consommée par un grand nombre d’entre nous. Il peut être difficile de se rendre compte des troubles potentiels lorsque sa consommation devient pathologique. The Lost Weekend représente bien les dommages engendrés par cette addiction. En effet, pendant toute la durée du film, le spectateur ressent l’ampleur du trouble de Don. Il observe sa dépendance à l’alcool et ses conséquences sur son isolement social allant du jugement jusqu’à l’internement. De plus, il prend conscience de l’ambivalence du protagoniste entre son désir de sortir de l’alcoolisme et ses difficultés à y parvenir car sa consommation lui apporte un certain confort. Il observe aussi l’approfondissement de sa détresse allant jusqu’à la volonté de mettre fin à ses jours. Et enfin, le spectateur réalise que la prise en charge empathique d’un tel trouble est la démarche nécessaire pour y mettre un terme. Néanmoins, ce que nous pourrions reprocher à «The lost weekend» réside dans sa fin idéaliste et peu réaliste. En effet, après des années chaotiques de dépendance il se résout à arrêter de boire et reprendre l’écriture suite à une brève discussion avec Helen qui lui prouve son amour et le convainc en ses capacités d’écriture. La fin du film met cela en lumière avec une scène qui peut nous paraître caricaturale où Don fait le choix symbolique de mettre des cendres dans son verre. De plus la temporalité du film sur un weekend laisse la suite ouverte, puisqu’il n’y a aucune allusion à ce que va advenir de Don dans le futur.

RÉFÉRENCES

Milland, R. (1974). Wide-eyed in Babylon. Morrow.

The Lost Weekend. Retrieved from https://www.imdb.com/title/tt0037884/trivia?ref_=tt_ql_2
Behind the Camera. Retrieved from http://www.tcm.com/this-month/article/159763|158044/Behind-the-Camera.html

Océane Lataste

Nicolas Nzale

Ariella Machado

Gabriel Thorens

Gerard Calzada

Faculté de Médecine de l’Université de Genève

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